Vers la fin de l’année dernière, pour la saison d’automne 2024, nous avions appris que Netflix et ADN allaient chacun proposer leur propre version doublée en français de l’animé DAN DA DAN. Cette annonce avait suscité de nombreuses interrogations chez les internautes, à la fois sur les raisons de ce double simuldub et sur la version à privilégier. À cette occasion, je vous avais rédigé un article qui avait d’ailleurs suscité beaucoup d’intérêt. Aujourd’hui, à l’occasion de la sortie de WITCH WATCH, les deux plateformes réitèrent cette stratégie, ce qui me pousse à vous proposer un nouveau comparatif.
Commençons par rappeler pourquoi ce type de double simuldub existe : ADN, Crunchyroll et Netflix peuvent diffuser des animes auxquels ils ont activement contribué ou qu’ils ont co-produits. C’est particulièrement vrai pour Crunchyroll, détenu par Sony, qui possède également Aniplex, une société majeure dans la production d’animes. Netflix, de son côté, alterne entre productions dites "originales" et acquisitions de licences. On a récemment constaté l’arrivée de nombreux animes très connus sur la plateforme, parfois des années après leur sortie initiale, mais Netflix investit également dans la production d’œuvres originales en partenariat avec certains studios, comme le Studio Trigger (Cyberpunk: Edgerunners, Gloutons et Dragons), diffusées en exclusivité chez eux. Quant à ADN, leur catalogue exclusif se concentre surtout sur les productions françaises, complété par des licences d’anciens classiques comme Dragon Ball ou Naruto.
Dans certains cas, notamment pour les ONA (animes non diffusés à la télévision japonaise), les studios peuvent rechercher un ou plusieurs partenaires de streaming. Cela peut mener à des contrats d’exclusivité, ou à une diffusion sur plusieurs plateformes simultanément. C’est dans ce contexte que les trois principaux acteurs de l’anime en France proposent parfois le même titre.
Se pose alors la question du doublage, d’autant plus cruciale que la VF représente 74 % de la consommation dans l'ensemble des foyers français et 57 % chez les 18-24 ans. Comme je l’expliquais dans mon précédent article : Netflix ne commercialise pas ses doublages. Ce choix stratégique représente un avantage pour la plateforme, qui n'est pas en manque d'argent et obligeant, par conséquent, ADN ou Crunchyroll de produire leur propre doublage. Bien que je n’aie pas de détails précis sur les accords, mais j’imagine que les deux entreprises se sont vues pour qu'ADN fasse la VF et que Crunchyroll achète leur doublage. Crunchyroll ayant beaucoup d’autres doublages à faire, cela permet ainsi d’avoir un anime en plus dans leur catalogue de la saison, et pour ADN, cela permet de compenser le coût de réalisation du doublage. Ainsi, nous nous retrouvons une fois de plus avec deux doublages différents pour un même anime.
Les différentes versions
ADN
Commençons par la version proposée en premier : celle d’ADN. Comme bien souvent, la plateforme a choisi de réaliser le doublage en Belgique. Ce choix entraîne la présence de comédiens que l’on a déjà entendus dans d’autres VF disponibles chez Crunchyroll notamment. On retrouve ainsi Catherine Hanotiau (connue pour son rôle de Melty dans The Rising of the Shield Hero) dans la peau de Nico Wakatsuki, et Maxime Donnay (Senku dans Dr Stone, ou encore la première voix de Mr Beast) dans celui de Morihito Otogi, les deux personnages principaux qui vont occuper 80 % du temps d’écran.

Netflix
Netflix, de son côté, publie ses épisodes trois semaines plus tard soit une semaine après ADN. Pour cette version, Jehanne Thellier (Fern dans Frieren) prête sa voix à Nico, tandis que Rémi Gutton (Fushi dans To Your Eternity et Subaru dans Re:Zero) incarne Morihito. On remarque également la participation d’Alice Orsat — dont j’ai déjà eu l’occasion de vanter les mérites dans un précédent article — dans un rôle secondaire.

Extrait 1 - La rencontre des personnages principaux
Le premier extrait nous montre la rencontre entre Morihito et Nico. Dans la version ADN, cela commence directement par un jeu de mots, c’est d’ailleurs ce qui va marquer tout le long. Les adaptateurs ont décidé de donner un ton plus humoristique que chez Netflix. Malheureusement, les sous-titres entre ADN et Netflix sont différents aussi, et chacun est plus proche de sa version doublée. Donc je ne saurais dire quelle adaptation est la plus proche de l’original, mais en regardant les sous-titres en anglais, celle-ci est plus proche de la version ADN. Je pencherais donc pour une version moins fidèle à l’original chez Netflix.
Si on continue un peu par la suite, quand Nico lui dit bonjour, on peut remarquer alors que dans la version ADN, celle-ci est plus naturelle et moins expressive, dans le sens où je veux dire que dans la version Netflix, Nico nous est montrée plus joviale et bêta. C’est d’ailleurs le plus gros point noir que j’ai pour la version ADN : Nico est sous-exploitée.
Pour Morihito, je n’ai aucun problème avec les deux comédiens qui le jouent très bien, mais continuons. Dans la dernière partie où Nico parle dans sa tête, on peut voir le fossé entre les deux choix s’accentuer. Là où, dans la version ADN, elle semble moins enfantine, plus réfléchie, et parfois même avec un ton d’une personne qui a plus la trentaine que la quinzaine, c’est totalement l’inverse chez Netflix où le personnage est bien mieux joué.
Concernant le texte, je ne suis pas sûr si le terme bg est encore approprié pour une ado de nos jours, mais avec la voix plus mature de [nom de l’actrice], cela ne fonctionne pas, contrairement à la version Netflix où le “là clairement il me matte d’une façon pas nette” est un bon ajout qui rappelle le côté imaginatif de Nico. Pour l’instant, cette VF est clairement en faveur de Netflix. Mais pour DAN DA DAN, je disais aussi que je préférais leur version avant de partir chez ADN, donc voyons les autres extraits.
Extrait 2 - D’humeur légère
Ce deuxième extrait vise principalement les paroles de l’adaptation, dans notre cas précis, lors de l’utilisation de termes pouvant être utilisés par des ados lorsqu’ils sont sous “effet” et donc sans retenue. Ici, pour le coup, je trouve que l’adaptation d’ADN est bien meilleure. Il y a l’utilisation de termes pouvant facilement être apparentés à des jeunes : “no problemo”, “asta la vista baby”, “c’tait cool, on a bien chillé avec toi”, même si on peut toujours prendre ça avec l’idée que ce sont des personnes plus âgées qui essayent de faire jeunes, comme dans les pubs SNCF de l’époque. Pour Netflix, encore une fois, il n’y a pas de risque, alors même que c’était ici la bonne occasion. Je vais même dire que cela semble parfois un peu bizarre : “bye bye madame chérie”, wtf ??? Et le “j’ai été magiquement ravi de faire votre connaissance” est un peu forcé, surtout qu’il a déjà été rappelé qu’ils étaient d’humeur légère juste avant, contrairement à ADN, et que cela sera rappelé dans les deux versions juste après. Enfin, je ne suis pas très convaincu par la voix du personnage secondaire chez Netflix, mais ce n’est qu’un détail puisqu’on la voit que très rapidement.
Extrait 3 - L’épisode 2
Nous voilà déjà à l’épisode 2. Celui-ci comporte la présentation de plusieurs personnages secondaires, mais aussi celle de l’un des objectifs de Nico : faire tomber Morihito sous son charme. Dans la version ADN, j’ai l’impression que Catherine Hanotiau essaye de jouer une Nico qui fait semblant d’être prude pour créer un fantasme de la gentille fille, mais il n’y a pas de contraste qui est créé lorsque l’on passe dans sa tête. Là où la version de Netflix, jouée par Jehanne Thellier, donne une Nico un peu plus enthousiaste à l’idée de vivre ensemble mais totalement “lubrique”, comme elle le dit elle-même lorsqu’on passe dans sa tête. Cela passe aussi par un ton plus adéquat, comme si on lui posait vraiment une question pour une télé-réalité, contrairement à la version d’ADN où Nico a l’air d’expliquer son plan. Dans les deux cas, la réaction de Nico lorsqu’elle commence à s’imaginer des choses est réussie, l’une est juste plus excentrique que l’autre.
J’ai choisi la deuxième partie pour vous montrer aussi que quelques détails peuvent d’un coup changer une appréciation sur un doublage. Ici, on y voit la prof principale qui se présente. Alors que dans la version Netflix, le personnage dit être “une fan de manga”, faire “la chasse aux dōjinshi”, mais explique aimer le mambo, la version ADN, elle, va plus loin en utilisant le terme Otaku, qui est bien approprié et plus logique lorsqu’un otaku se parle dans sa tête. De plus, lorsqu’elle exprime sa passion pour le mambo, il est rajouté qu’il s’agit d’une danse, ce qui est une précision que j’apprécie, car ayant regardé la version Netflix, je vous avoue ne pas avoir compris de quoi il s’agissait vraiment, même si on peut s’en douter avec la musique en fond.
La dernière partie montre les deux nouvelles amies de Nico. Kara est bien jouée dans les deux cas, bien que paradoxalement plus expressive dans la version ADN, alors qu’en général c’est Netflix qui en fait plus dans les animes. Cependant, on peut remarquer toujours le même problème… Nico est inexpressive chez ADN. Je vous avoue ne pas comprendre. Le “bah forcément on habite sous le même toit” n’a absolument aucune gêne, alors même que dans tous les animes (celui-ci compris), les personnages ont toujours une petite gêne lorsqu’ils parlent de vivre ensemble, comme dans la VF de Netflix : “Bah en fait, lui et moi on habite ensemble”, phrase qui, par ailleurs, sonne personnellement.
Extrait 4 - La locomotive
Vous savez ce qui est énervant lorsque l’on fait des comparaisons de VF ? C’est qu’il n’y en a jamais une qui est meilleure en tout point. De la même façon que la présentation de la prof de classe était plus logique et précise dans la version ADN que chez Netflix, dans cet extrait, le texte est là aussi plus logique chez ADN. Nico fait ainsi “tchou tchou” et “une, deux” là où c’est “oh hisse” et “bip bip” pour Netflix. J’ai regardé en VO et c’est en fait… un mixte des deux. Les Nico disent bien “une, deux”, mais c’est “bip bip” qui est prononcé par l’une d’elles. Si on veut passer ça en français, les deux versions marchent. Cependant, j’ai un peu de mal avec le “bip bip”, qui est une onomatopée pas utilisée chez nous. C’est pour ça que je préfère le “tchou tchou”. Pareil, le “oh hisse” fonctionne, même si en général, c’est le genre de chose qu’on dit une seule fois en portant un objet ou lorsqu’on tire une corde. Ici, le “une, deux” me paraît plus approprié. Ce sont peut-être des détails, mais sachez tout de même que lorsque j’avais regardé l’épisode, je me suis un peu questionné sur ce “bip bip” qui faisait bizarre. Ça se voyait que c’était quelque chose de japonais et ça donnait un aspect pas trop adapté, ce que je trouve dommage, car du coup, ça sort un peu de la langue française.
Extrait 5 - L’histoire du fan de Demon Slayer
Ici encore, la version ADN est mieux traduite. Mais là où, pour les précédents extraits, ce n’étaient que des détails, c’est tout de même près d’une minute de termes incompréhensibles que Netflix nous propose. Commençons par l’énervement du tengu, qui explique dans la version Netflix en avoir marre du côté “j’en ai rien à foutre des tengu” de Morihito. Mais pourquoi avoir répété ça seulement 5 secondes plus tard ? À chaque fois que j’entends le monologue, je ne comprends pas pourquoi ils ont mis une répétition si proche pour expliquer la même chose. Ensuite, au niveau des références, c’est la cata. Pour ADN, il n’y a pas de problème : ils font un jeu de mots pour “Tengu Slayer” contre “tueur de Tengu” pour Netflix. En continuant dans l’explication, le nom d’un personnage de Demon Slayer est cité, contrairement à la version Netflix qui dit juste que c’est un demi-tengu. Pareil pour le nom de la boisson préférée du père, qui est nommé dans son vrai nom, alors que chez Netflix, il est directement traduit. Cependant, j’avoue que pour ce cas-là, ils auraient pu traduire le texte de la bouteille en “tueur d’ogre” au lieu de “tueur de démon” pour que ça soit plus compréhensible. Enfin, lorsque Morihito s’énerve, il dit que c’est “l’histoire d’un fana de manga” pour Netflix, mais dit rapidement, ce n’est pas très compréhensible. Alors qu’ADN reprend, comme en VO, le nom du manga auquel la tirade fait référence : Demon Slayer. Ça en devient tellement étrange que Netflix tourne autour du pot que je me demande s’ils ne voulaient pas faire la promo de Demon Slayer parce qu’ils n’en ont pas les droits partout. Pourtant, WITCH WATCH est rempli de références à de nombreux animes, et ça crée donc une situation un peu paradoxale. Par contre, l’imitation en vieux de Kanshi, c’est vraiment bien, et je regrette qu’ADN ne l’ait pas faite.
Extrait 6 - Memu Miyao se fait caresser
Cet extrait va me permettre de vous présenter un nouveau personnage. Je trouve, encore une fois, le texte d’ADN meilleur, surtout le “t’es pas venu ici pour te faire bichonner ma vieille”. Le reste est plutôt fidèle à la VO, avec “la fille que se laisse caresser”, qui a un double sens en France (je ne sais pas ce qu’il en est pour le Japon), et “l’explosion de Tongouska”. Pareil pour la réaction de Kanshi, qui crie “un humain”, ce qui permet de créer une situation de quiproquo où l’on croit qu’elle est démasquée. Pour Netflix, Tongouska est remplacé par “boum fait la bombe atomique”, ce qui est un peu bizarre. D’une part, parce que le Japon, cent ans après, reste marqué par ce traumatisme, donc il est évident qu’ils n’auraient jamais parlé de bombe H, mais aussi car ça ne colle pas très bien. Aussi, pour l’exclamation de Kanshi, on a un mot baragouiné que je n’arrive même pas à deviner, ce qui crée la situation comique.
Conclusion
En définitive, les deux versions présentent des caractéristiques similaires à celles observées sur DAN DA DAN. La VF d’ADN semble plus fidèle à l’œuvre originale, même si elle se permet quelques libertés ponctuelles. De son côté, Netflix opte pour une adaptation plus libre, mais compense par un jeu d’acteurs plus expressif, dans l’esprit du doublage japonais. Cette approche, bien que moins conventionnelle pour le public francophone, reste équilibrée et pertinente.
Sur le plan vocal, Netflix se distingue encore une fois avec des choix de comédiens très convaincants et des performances globalement plus marquantes. Du côté d'ADN, l’interprétation de Nico ne fonctionne pas à mes yeux. Elle n’est pas catastrophique, mais crée un écart notable dans la dynamique du personnage principal. Cela dit, l’appréciation reste subjective. J’en veux pour preuve mon avis initial sur Jaynelia Coadou, que je critiquais dans DAN DA DAN avant de réellement apprécier son jeu au fil des séries que je regardait en même temps, oui il y a un petit côté tsundere là dedans.
Cependant, contrairement à DAN DA DAN où mon cœur balançait entre les deux versions, WITCH WATCH tranche plus nettement. Si vous pouvez accepter quelques une semaine de décalage en plus qu'ADN (trois semaines contre deux) avec la sortie initiale, je vous recommande donc la version proposée par Netflix.