Alors que tous les yeux sont rivés vers les Jeux Olympiques de Paris 2024, deux jours avant la cérémonie d’ouverture, le 24 juillet, un vote historique dans l’histoire des Jeux a eu lieu. En effet, le CIO, le Comité international olympique, a voté à l’unanimité l’organisation des Olympic Esport Games, les premiers Jeux Olympiques d’Esport officiels qui se dérouleront tous les deux ans entre les Jeux d’été et d’hiver. Pour mieux comprendre la difficulté et l’attente qu’a été la création de cet événement, retournons plus de 20 ans en arrière jusqu’à aujourd’hui pour comprendre en quoi cet événement est attendu depuis longtemps par les joueurs professionnels en manque de reconnaissance internationale.

Les prémices d’événements internationaux

L’ESWC, une compétition gérée par une entreprise privée

L’ambition d’avoir un événement mondial regroupant plusieurs jeux vidéo ne date pas d’aujourd’hui. En 2003, l’ESWC (Esport World Cup) — un événement créé en France et ayant eu lieu au Futuroscope puis à Paris Bercy et San José — devient l’un des événements compétitifs précurseurs dans cette idée de regroupement d’acteurs clés de l’industrie vidéoludique. Après la crise de 2008 où le monde de l’esport a vu ses cashprizes divisés par deux en l’espace d’un an, l’événement se fait racheter par une autre entreprise française et est alors organisé à la Paris Games Week (PGW) dès 2011 jusqu’en 2016 où, fort d’une baisse de fréquentation et d’un public qui n’accroche plus, l’ESWC se fait racheter par une filiale de Webedia pour devenir l’eSport World Convention proposant une édition d’hiver et d’été mais finira par mourir en 2018. Les ambitions trop petites, ne se déroulant pratiquement qu’en France et avec un cashprize extrêmement bas ont eu raison de l’événement dont la marque finira par être vendue à l'Esports World Cup Foundation, une organisation saoudienne qui ambitionne de recréer une coupe du monde d'esport pour servir son soft power et dont la première édition se déroule actuellement du début juillet à la fin août 2024 avec, pour le coup, des cashprizes beaucoup plus intéressants, allant de 500 000 $ à 5 000 000 $.

Les WCG, le plus proche des Jeux Olympiques

Si l’on veut un événement plus proche du principe des JO avec des équipes nationales et des médailles, on peut alors se tourner vers les World Cyber Games (WCG) aussi surnommés les « Jeux olympiques des jeux d'ordinateur ». Cette compétition, qui a débuté en 2000, est l’œuvre du conglomérat sud-coréen Samsung Electronics avec le parrainage du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme et du ministère de l'Information et des Communications de la Corée du Sud. Il a réussi à rassembler de nombreux joueurs (jusqu’à 800 pour 75 pays lors de son pic en 2008) et partenaires commerciaux tels que Blizzard, Microsoft ou Intel. Néanmoins, malgré sa poursuite après la crise de 2008, la fin de l’événement est déclarée en 2014. La marque est transférée à un autre éditeur en 2017 pour essayer de redonner vie à l’événement en 2019, mais 2020 donnera le coup de grâce avec seulement deux pays représentés et 68 joueurs sur uniquement des jeux mobiles et entièrement en ligne (COVID oblige) avec 300 000 $ de cashprize.

Les Jeux Asiatiques, un sérieux concurrent

En fait, si vous souhaitez voir un événement sportif ajouter l’esport dans sa compétition, il faut alors plutôt se tourner vers les Asian Games. Nommé Jeux asiatiques en français, cet événement multisportif parmi les plus importants du monde a en effet déjà accueilli l’esport depuis 2023 avec sa 19ᵉ édition qui s’est passée en Chine. Au programme, des jeux mobiles, des MOBA ou bien de la simulation dont voici les jeux sélectionnés :

  • Arena of Valor (Asian Games version)
  • Dota 2
  • Dream Three Kingdoms 2
  • EA Sports FC Online
  • Hearthstone (annulé suite à la fermeture des services de Blizzard en Chine)
  • League of Legends
  • Peacekeeper Elite (PUBG Mobile en Chine et avec une Asian Games version)
  • Street Fighter V (Champion Edition)

Cependant, n’attendez pas de cashprizes comme les autres compétitions privées ; ici, ce ne sont que des médailles qui sont décernées, mais elles sont bien comptées dans le tableau global des scores au même titre que le karaté, par exemple.

Des essais infructueux pour les JO

Du côté du comité olympique, il faut pour eux trouver une solution pour contrer la baisse de popularité et attirer un public plus jeune dans les Jeux Olympiques afin de garder un prix de diffusion rentable, mais aussi pour permettre l’apprentissage du sport à la jeunesse. Dans cette optique, le comité n’a pas d’autre choix que de se tourner vers le “sport” qui commence à faire beaucoup de chiffre et dont la moyenne d’âge est nettement plus basse… l’e-sport.

Une reconnaissance pour avancer

En octobre 2017, à l’occasion d’un sommet, le CIO reconnaît alors que « l'e-sport compétitif pourrait être considéré comme une activité sportive, les joueurs impliqués se préparent et s'entraînent avec une intensité comparable à celle des athlètes des sports traditionnels » émettant néanmoins des réserves quant aux jeux dits violents. Et c’est là tout l’un des principaux problèmes de l’organisation de jeux olympiques d’esport, les valeurs prônées par le CIO sont perçues différemment par les membres du comité pour qui l’utilisation d’armes dans un jeu vidéo (donc totalement fictif) est impossible aux Jeux Olympiques (alors même qu’il y a des sports de tir avec de vraies armes). À cela s’ajoute pour eux le plus gros problème : l’absence d’un organisme mondial qui permet d’éviter la triche, les paris et les trucages en contrôlant les athlètes et les juges. C’est bien là le plus gros problème car chaque jeu est géré par son éditeur et non une fédération, ainsi on peut se retrouver avec une entreprise privée qui peut faire ce qu’elle veut avec son jeu, y compris, comme cela avait été le cas avec Fornite, le changement de la meta (c-à-d. des règles qui dictent les actions et personnages les plus efficaces pour gagner) avant une compétition. Vu comme cela, il semble impossible donc de voir advenir des Jeux Olympiques d’esport.

Les Olympic Virtual (et Esport) Series

Profitant de l’occasion d’une sortie de confinement mondiale (rien que ça), le CIO se décide alors de réaliser pour la première fois un test d’esport olympique. Leur ambition se veut d’être plus une virtualisation de sports existants en collaboration avec plusieurs fédérations internationales sportives et les éditeurs concernés plutôt que de réels jeux vidéo totalement différents de la réalité. Nous voilà donc en mai 2021 avec les jeux suivants :

  • Baseball : eBaseball Powerful Pro Baseball 2020
  • Cyclisme : Zwift
  • Aviron : Format ouvert (???)
  • Voile : Virtual Regatta
  • Sport Auto : Gran Turismo

Pas besoin de vous raconter que cela fut un échec, on avait plus l’impression d’avoir une volonté de moderniser le sport traditionnel plutôt que de ramener l’esport ; cela en devient même insultant quand on sait que le CIO a reconnu les qualités de l’esport mais préfère mettre en avant des sports traditionnels.

Il faudra alors attendre 2023 avec l’arrivée des Olympic Esport Series annoncées un an plus tôt pour avoir… toujours des jeux de simulation. En fait, on sent bien que le CIO essaye de contourner le problème du manque de fédération internationale en passant par des fédérations sportives qui vont proposer un jeu par lequel le comité va se rapprocher de l’éditeur en question, cela peut alors amener à certaines incompréhensions de jeux que l’on aurait pu penser voir dans cette édition 2023 nommée “Olympic Esports Week”, on pense notamment à FIFA qui, suite aux désaccords entre la FIFA et EA, n’a pas été proposé. On peut aussi se questionner sur la non-présence de jeux comme NFL, NBA 2K et autres simulations là encore absentes. Malgré cela, on peut tout de même retrouver Fortnite pour représenter les jeux de tir ou bien Just Dance pour la danse.

L’annonce des Olympic Esport Games

C’est donc après de multiples tâtonnements que le CIO se décide enfin à mettre le pied sur la pédale pour accélérer sa volonté de promouvoir le sport à travers différents supports. Pour cela, le comité a bien appris de ses erreurs et sait que l’on ne peut pas promouvoir des sports uniquement avec des sports virtuels ou des simulations sans implémenter ce qui est l’âme de l’esport, les jeux vidéo dits « traditionnels ». C’est donc sur trois “types” de jeux qu’auront lieu ces Olympic Esport Games (il n’y a pour l’instant pas de nom en français bien qu’il s’agisse d’une des langues des JO) :

  1. Les sports physiques virtuels : ce sont plus des logiciels qui permettent de retranscrire au mieux et de façon réaliste des sports existants comme Zwift et Virtual Tae Kwon Do
  2. Les simulations sportives : ce sont des jeux vidéo qui représentent plus ou moins un sport existant mais en y ajoutant un côté plus ludique, facile et moins physique comme EA Sports FC (précédemment FIFA) et NBA 2K qui se jouent sur manette mais aussi Gran Turismo qui peut se jouer avec un volant
  3. Les jeux vidéo « traditionnels » : ce sont les jeux vidéo comme on l’entend dans l’esport, avec des règles et compositions parfois complexes, nécessitant de la stratégie et d’excellents réflexes, jeux comme League of Legends, Dota 2, Street Fighter ou Rocket League

Cependant, le CIO précise bien que les sports virtuels sont toujours leur priorité et qu'ils tiennent à privilégier les éditeurs qui ont une affinité avec les fédérations sportives tout en gardant à l’esprit les valeurs de l’olympisme (donc sûrement pas de violence et d’armes à feu sauf si c’est sur des cibles comme pour Fortnite pour les Olympics Esport Series). À cela, le CIO a précisé que les e-athlètes se verront enfin décerner le titre de “Champion ou championne olympique d’esport” et recevront aussi des médailles, ce qui n’était pas le cas avec les Olympic Esport Series.

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Actuellement, aucune information officielle n'a été publiée concernant les jeux vidéo qui pourraient être présents. Cependant, selon L'Équipe, le CIO est en discussions avancées avec, entre autres, les éditeurs de Rocket League, Street Fighter, et surtout League of Legends.

Maintenant, parlons du point qui fâche, car en plus de se douter que des jeux comme Valorant ou Counter Strike ne seront pas présents, il se trouve que pour les six prochaines éditions à venir — soit pendant 12 ans car les Jeux se dérouleront tous les 2 ans — les Jeux auront lieu en Arabie Saoudite, pays qui, si vous avez lu le début de l’article, cherche à se créer un soft power autour du sport et surtout de l’esport, qui est moins cher et toujours en recherche d’argent (je tiens à rappeler que l’esport est toujours à l’état de bulle financière dont la majorité des éditeurs dépensent plus d’argent qu’ils n’en gagnent). C’est peut-être même l’un des plus gros points noirs pour ces JO d’esport, dont le CIO préfère assurer la rentabilité en acceptant ce deal de 12 ans dont l’Arabie Saoudite a sûrement dû dépenser plusieurs milliards (rien que pour avoir l’accord), alors même qu’ils accueilleront les Jeux asiatiques d’hiver de 2029 et d’été de 2034 ainsi que la Coupe du monde de football en 2034.

Est-ce une bonne chose ?

Alors au final, est-ce une bonne chose, ces Jeux Olympiques d’Esport ? Cela fait des années que le monde de l’esport cherche désespérément une reconnaissance de la part du sport traditionnel pour combattre la méprise internationale des non-connaisseurs et détracteurs du jeu vidéo que ce soit dans la presse générale (le fameux “meuporg”) ou avec les politiciens comme Macron qui parlait lors des émeutes de gens qui se croyaient dans des jeux vidéo. Le temps est passé depuis ces 20 ans de recherche à se faire connaître, à montrer sa passion pour le jeu vidéo et maintenant c’est le CIO qui se retrouve, désespéré de vouloir attirer un public plus jeune, à tendre la main vers l’esport. À titre personnel, j’attendrais de voir ce que cela donne avant de critiquer ; les JO de Paris nous ont bien montré qu’il y a beaucoup d’aigris en France et je ne voudrais pas rajouter ma couche surtout que j’ai toujours voulu avoir des événements esportifs avec des équipes nationales comme Blizzard a fait avec Overwatch (j’en ferais un article un jour). Ce qu’il faut tout de même noter, c’est que, comme jamais, l’industrie du jeu vidéo est en position de force face aux Jeux Olympiques pour mettre le plus possible en avant ces jeux que nous voulons et qui créent tant d’émotions. Il ne faudra cependant pas trop forcer pour ces entreprises ; les Jeux Olympiques restent tout de même un lieu de partage et d’esprit olympique et non qu’une simple pancarte publicitaire géante.

Avant de vous quitter, je vous propose donc un petit tableau des pour et contre les JO d’Esport. N’hésitez pas, en commentaire, à me donner d’autres arguments que je pourrais mettre en plus.

Pour

  • Reconnaissance internationale : Les JO d’Esport offriraient une validation globale de l'esport, montrant qu'il ne s'agit pas seulement de "jouer chez soi devant un écran".
  • Représentation de son pays : Les joueurs auraient l’opportunité de représenter officiellement leur nation, renforçant l'esprit patriotique dans l’esport.
  • Diversité et inclusion : Les JO pourraient encourager la participation de pays moins présents dans l’esport, élargissant la scène internationale.

Contre

  • Dévaluation des compétitions privées : L'introduction des JO pourrait affaiblir l'attrait des compétitions privées en les éclipsant.
  • Dominance déséquilibrée : Tous les pays ne possèdent pas une scène esportive assez développée, ce qui pourrait conduire à une domination de nations comme la Corée du Sud, faussant la compétition.
  • Influence commerciale : L’esport est souvent utilisé par les éditeurs comme un outil publicitaire, ce qui pourrait biaiser la nature compétitive des JO si les éditeurs contrôlent trop les choix de jeux et les règles.